Take a sad song and make it better. • [R]

Ruth Grahams sentait la légère brise lui fouetter le visage, au rythme de sa course. Le son de son baladeur la rendait énergique. Elle avait l'impression de revivre. Courir la rendait sereine étrangement. Elle oubliait tous ses problèmes, tout ce qui la tracassait quotidiennement. C'était un réel bonheur. La jeune femme pouvait courir pendant longtemps sans se fatiguer, à force d'entrainement. Le fait de ne pas avoir de vie fixe, de voyager tout le temps, de marcher, de crapahuter les endroits les plus inaccessibles pour ses photos et peintures ... Oui elle avait de quoi tenir longtemps à ce rythme. Depuis qu'elle était de retour à Yarmouth, elle n'avait pas encore eu le temps de faire son petit jogging. Et notamment à cause de Bauer ... Le fait de le revoir l'avait changé à jamais. Sa maladie, sa vulnérabilité qu'il tentait de cacher. Oui elle était touchée, car elle avait la désagréable impression de revivre un épisode de son enfance. Le cancer de son frère ... Elle ne souhaitait pas que la vie lui enlève un autre proche, elle ne le supporterait pas. C'était pour cela qu'elle s'était éloignée de Yarmouth et qu'elle avait choisi cette vie. La ville lui était devenue exécrable, elle avait l'impression d'étouffer ... Et voilà qu'elle y était de retour aujourd'hui, en train de courir. Bien sur, elle n'était là que temporairement ... Enfin c'est ce qu'elle aurait souhaité, car plus elle passait du temps aux cotés de Bauer plus elle s'attachait à lui. Et elle n'était là que depuis quelques jours ... Elle aurait voulu ne pas tomber sous son charme. Visiblement, c'était raté. Elle se rapprochait d'ailleurs de sa maison. Il lui avait gentiment proposé de vivre chez lui le temps du mariage. Il était presque midi, et il était temps qu'elle rentre. Une fois qu'elle fit sur Burkeley Street elle se mit à marcher. Elle passa la portillon qui menait à la maison. La porte n'était pas fermée à clef, elle pénétra dans le hall d'entrée. « C'est moi ! » cria-t-elle à l'intention de Bauer, bien qu'elle ne sache pas exactement ou il se trouvait. Elle s'avança dans la cuisine, et se servit un grand verre d'eau. Le jeune homme n'avait toujours pas fait son apparition. Il devait être occupé. Ruth prit les choses en main, en ouvrant le réfrigérateur. C'était elle qui allait faire la cuisine ce midi. Après avoir passé le contenu de celui ci, et des placards en revue, elle décida de cuisiner un poulet. Au bout de quelques minutes de préparation, elle le déposa dans le four et démarra la cuisson. « Bauer ? » Ruth fronça les sourcils. Que faisait il ?

« C'est moi ! » Premier cri qui le fit se réveiller en sursaut. Depuis qu'il était malade, il pouvait passer ses journées au lit. Chose incompréhensible, car il était hyperactif en temps normal « Bauer ? » Il était temps de se lever. Sa raison de vivre était dans la cuisine, surement à lui faire un petit plat. Avec difficulté, se sentant vidé de toute force, il enfila un tshirt et un short malgré le temps potable mais un peu froid. La maison était chauffé à bloc. Il vérifia son visage dans le miroir, et se vit si fatigué, exténué, avec ses cernes noires qui encadraient ses yeux. Il soupira, alla se rafraîchir dans la salle de bains et descendit. Il fallait maintenant prendre son traitement. Il franchit la porte de la cuisine, sourit discrètement à Ruth et prit ses cachets avec un verre d'eau. C'était le genre de cachets assommants. Il allait encore passé sa journée avachi. Trouvant la force d'allumer une cigarette, il vit le regard de Ruth. Il marmonna directement. « Je sais, je sais. Ça me détend. » Il lui sourit une nouvelle fois. Puis il s'assit sur le rebord du comptoir de la cuisine. Et admira Ruth. Elle venait de faire un jogging. Sa peau luisait, et son odeur remplissait la pièce accompagné du poulet qui mijotait dans le four. Ce qu'elle pouvait être belle. [..] Il se reprit pour ne pas la prendre dans ses bras. C'était l'envie qui se bousculait depuis qu'elle était arrivée. L'embrasser, passer la nuit avec elle. Il se refusait à penser à une relation. Non, c'était trop dur. Il ne pouvait lui affliger son amour déraisonnable. Elle avait souffert, il le savait. Il ne voulait pas être l'homme qui allait l'aimer, pour ensuite l'abandonner en mourant. Même si ce n'était pas sûr. « Tu comptes faire quoi de ta journée ? » Elle tourna la tête, et réfléchit. Il prit une bouffée et l'expira, tapotant les cendres dans le cendrier. Il avait envie de dormir.

Ruth entendit les pas du jeune homme descendre les escaliers. Elle se retourna à son arrivée dans la cuisine, un sourire aux lèvres. Puis elle se pinça les lèvres lorsqu'elle le vit allumer une cigarette. « Je sais je sais. Ça me détend. » Mais elle ne répondit rien. Son regard devait suffire à faire comprendre ce qu'elle pensait en ce moment. Et puis après tout il était assez grand pour savoir ce qui était bon ou mauvais pour lui. Elle se retourna vivement vers son plat, les yeux baissés. Puis machinalement, elle revint à Bauer. « Je suis désolée j'ai du te réveiller ... Tu voulais peut être dormir un peu plus ? » Elle savait que la fatigue le gagnait en ce moment, et d'ailleurs cela se voyait sur son visage. Cela n'enlevait rien à son charme et sa beauté pour Ruth, cela dit. Elle répondit à ce second sourire par un petit hochement de tête. Rien que le fait de le voir ainsi la rendait malheureuse. Elle aurait donné beaucoup pour qu'il ne souffre plus. « Tu comptes faire quoi de ta journée ? » A vrai dire, elle n'y avait pas pensé. Elle avait beaucoup de choix. Elle pouvait rendre visite à Graham, ou bien même rester ici à ne rien faire. Ce n'était pas son genre de rester inactive, mais il faut croire que l'air de Yarmouth y est pour quelque chose. La première chose qu'elle fut tentée de répondre c'est rester avec toi, mais bien entendu elle n'en fit rien. Sa mine s'était assombrie, mais elle se ressaisit en lui adressant un sourire taquin. « Est ce que c'est une proposition ? Sinon, je n'avais rien prévu, non. Mais si ça te dit, on peut, je ne sais pas, aller faire un tour, glander ... » Ruth se tut. Elle ne savait pas ce qui lui prenait tout à coup. « Oh ... tu veux peut être te reposer ? » Elle ne savait pas encore comment se comporter avec lui, si il fallait qu'elle fasse semblant qu'il ne soit pas malade ou non ... La première proposition lui semblait la plus juste. Un homme ne souhaite pas etre atteint dans sa virilité .. En général. Elle jeta un œil vers le poulet, pour cacher le fait qu'elle était gênée. Elle se passait d'ailleurs constamment la main dans les cheveux, autre signe ...

« Je suis désolée j'ai du te réveiller ... Tu voulais peut être dormir un peu plus ? » Il secoua vivement la tête. Il était crevé; exténué, sur le point de s'évanouir de sommeil, mais il voulait prouver à la terre entière qu'il était fort. Il fallait qu'il se bouge, qu'il vive comme on dit. Car depuis son retour d'Irak, il ne faisait plus rien, sauf vivre de sa retraite militaire. Sa tante lui avait légué la maison, et il s'y sentait comme chez lui. Mais la solitude effective qui s'était aggravé lorsqu'il avait appris qu'il était malade le rongeait profondément. Il remettait toujours au lendemain les promenades, les sorties entre amies, la visite de sa cousine. Il se prétextait trop malade. Mais il y avait bien pire que lui. « Est ce que c'est une proposition ? Sinon, je n'avais rien prévu, non. Mais si ça te dit, on peut, je ne sais pas, aller faire un tour, glander ... » Il aurait aimé trouver le courage et la lâcheté en même temps de lui demander un tête à tête romantique. Mais il ne pouvait pas y songer sans avoir la gorge serrée et les mains moites. « Oh ... tu veux peut être te reposer ? » Il secoua vivement la tête et ajouta. « Je suis malade, pas mourant. » Aha, ironie du sort. S'il savait ce qui l'attendait au coin de la rue. Des mois de souffrance. Ce n'était que le début de son lourd traitement. « On pourrait aller se promener près de la rivière ? Ça me ferait du bien de sortir. Enfin, si tu n'as rien d'autre à faire .. » Il avait si peur qu'elle trouve un homme parfait pour elle et qu'elle s'enfuit en sa compagnie. A part elle et sa cousine, personne ne le retenait à la vie. Il lui sourit timidement, et écrasa son mégot dans le cendrier.